jeudi 15 novembre 2012

L'enfant sauvage de François Truffaut



L'Enfant sauvage
Réalisé par François Truffaut, scénario de Truffaut et Jean Grualt d'après Mémoires et rapport sur Victor de l'Aveyron du docteur Jean Itard.
France, noir et blanc, 1970

                              

     Tout d'abord, pardonnez-moi l'aspect un peu "brouillon" de cet article, je suis certaine que le net regorge d'analyses bien plus poussées et approfondies du film de Truffaut, là, je ne fais qu'en parler comme je le sens, assez spontanément et sans prétention.

     Victor de l'Aveyron est probablement le plus célèbre cas d'enfant sauvage alors qu'il fut découvert quelques décennies à peine après Marie-Angélique et que son histoire est moins intrigante de part sa réinsertion dans la société de son siècle.
     Il semble que sa renommée doive moins au rapport paru tardivement et rédigé par le docteur Itard qui l'a pris en charge peu de temps après sa découverte qu'au célèbre film de Truffaut qui s'est approprié cette histoire. Le réalisateur a fait le choix de ne traiter que de période durant laquelle Victor a vécu avec le docteur Itard. C'est donc ce dernier qui est le principal protagoniste de l'histoire, celui dont on connaît les pensées et les sentiments, les états d'âme, de l'espoir au découragement...

     Truffaut interprète lui-même le docteur Itard, éminent spécialiste des troubles de la surdité et du langage, pionnier de la psychiatrie de l'enfant, qui essaie, tout au long du film, d'inculquer le français à Victor. Devant l'incapacité ou le refus de l'enfant sauvage d'accéder au langage articulé, le docteur en vient à se demander s'il n'aurait pas mieux valu le laisser dans la forêt.

     A l'époque, la psychologie infantile, l'oto-rhino-laryngologie de même que l'étude de l'apprentissage de la langue n'étaient encore que balbutiantes mais, selon les orthophonistes, il semblerait qu'un enfant n'ayant pas appris à parler avant ses septs ans se retrouve quasiment dans l'incapacité d'apprendre ensuite à parler. Pour avoir atteint un tel niveau de régression, il est fort probable que Victor avait été abandonné avant ses sept ans.
     En effet, le docteur Itard le récupère en 1801, mais il semblait âgé d'une dizaine d'années lorsqu'il avait été aperçu dans la forêt en 1797 déjà dans un fort état d'ensauvagement.

     En dehors de l'apprentissage de la langue et des "bonnes manières", on voit dans le film que le docteur Itard finit même par douter des capacités de Victor à éprouver des sentiments "sociaux" telle la compassion, l'empathie, le respect, la justice. L'une des scènes les plus marquantes du long-métrage est, sans aucun doute, celle où le docteur soumet son jeune patient à une volontaire injustice pour le faire réagir.
     Il s'agit alors, non d'empêcher simplement le chapardage de nourriture comme on le ferait en éduquant son chat ou son chien, mais de faire comprendre à Victor pourquoi ce qu'il fait est acceptable ou non aux yeux de ses pairs. Pour qu'il apprenne à vivre en société non guidé par la peur de la punition et comme un petit animal bien dressé, mais avec toute son humanité et des capacités de raisonnement qui lui sont propres. 

(je ne spolie pas la scène pour les gens qui n'auraient éventuellement pas encore vu ce film, je ne l'ai vu moi-même qu'il y a peu, pour tout dire! )

     Derrière cette scène en particulier (et dans tout le film), il y a toutes les interrogations sous-jacentes que soulèvent les enfants sauvages : la légitimité de la société et de son formatage, les notions de moralité "naturelle" ou "acquise", le rôle de l'empathie dans la socialisation... Autant de thème très chers aux Lumières du XVIIIème siècle qui se sont prolongées lors du XIXème.

     Il est d'ailleurs intéressant de constater que c'est en 1970, 
après avoir lu un compte-rendu du livre du Dr Itard dans Le Monde, que  Truffaut réalise ce film... Juste après les évènements de mai 68 qui ont ravivé certaines de ces interrogations, qui ont questionné les fondements de la société, en ont remis en cause les carcans, qui ont vu éclore maints mouvements prônant le retour à la Nature. Ca n'est certainement pas un hasard si ce film a trouvé un tel écho auprès du public de l'époque et a été un tel succès.

     La symbolique de la fenêtre est également très présente dans le film. Connaissant un peu le réalisateur, ça ne peut pas être un hasard... On surprend souvent Victor à rêvasser, comme s'il voulait retrouver sa forêt car les exercices de stimulation intellectuelles que lui fait subir le docteur semblent proprement éreintant, davantage que ne l'était la récolte de glands et de racines à laquelle il s'adonnait dans la forêt. Mais entre sa chère forêt et lui, il y a maintenant cette vitre, transparente et pourtant bien palpable, qui établit une frontière entre lui et la Nature, parce que l'on veut le faire entrer dans "la société".
     Le docteur, lui, n'arrête pas de noter. Il fait grande utilisation de l'écriture et du langage qui lui sert à analyser ce qu'il se passe, à prendre du recul sur les expériences passées pour imaginer les nouvelles. Il est plongé dans un monde qui paraît totalement abstrait à Victor alors même qu'il tente d'éveiller "l'humanité" en lui à travers de multiples expériences sensorielles, persuadé que lorsque Victor connaîtra mieux son anatomie humaine, il parviendra à parler.
     Dans la scène finale, cette fenêtre jouera un rôle très important mais, là encore, je ne vais pas la démystifier.

     Au final, les cas de Victor et de Marie-Angélique sont super différents mais ils abordent beaucoup de thèmes semblables. Je dirai même que l'histoire de Marie-Angélique est beaucoup plus complexe puisque là où Victor vivra approximativement jusqu'à 40 ans soigné par gouvernante et pensionné, capable de se comporter correctement en public mais pas réellement intégré à la vie sociale, Marie-Angélique, elle, parviendra à prendre une place bien plus importante dans la société. Une place tout de même étrange et dérangeante puisqu'il était rare pour l'époque qu'une vieille femme vive seule et en parfaite indépendance.

     On se rend compte, en travaillant sur cette histoire, que chaque période de la vie de Marie-Angélique mériterait un livre ou un film à elle seule tant sa vie fut riche en thématiques fortes. 

2 commentaires:

  1. J'ai fort envie de voir le film maintenant! Ceci dit, j'adore le contraste entre le langage très vieille France de tout ton article, puis le "super différent" de l'avant dernier paragraphe ^^

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  2. Ha, ça c'est tout moi, j'ai tendance à écrire avec une syntaxe un peu soutenue mais à parler comme un charretier alors des fois, ça se télescope paske j'me rends compte que ça peut paraître "bêcheuse". ^^'
    Pis devoir écrire des dialogues entre nobles du XVIIIème, ça aide pas non plus.

    Bref, j'aime les contrastes! \o/

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