vendredi 30 août 2013

La traversée de l’Atlantique aux XVIIe et XVIIIe siècles


Aujourd’hui, lorsque nous traversons l’Atlantique Nord dans le confort d’un Airbus ou d’un Boeing, il nous est difficile d’imaginer les conditions difficiles que connurent ceux et celles qui osèrent s’aventurer sur l’océan aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Bien que moins périlleuse qu’au XVIe siècle, la traversée était toujours une rude épreuve que marins et passagers n’entreprenaient pas sans crainte. Essentiellement terrienne depuis un millénaire, la civilisation européenne associait la mer aux pires images de détresse et de peur. À l'époque, plusieurs proverbes et dictons circulaient en Europe et conseillaient de ne pas se risquer sur la mer : « Louez la mer, mais tenez-vous sur le rivage » disaient les Latins. « Mieux vaut être sur la lande avec un vieux chariot que sur mer dans un navire neuf » affirmaient les Hollandais. « Si tu veux apprendre à prier, va sur la mer », déclarait le personnage de Cervantès Sancho Pança. De plus, la traversée de l’Atlantique Nord en direction du Canada avait la réputation d’être extrêmement difficile. En 1716, le commandant du navire François, le capitaine Voutron, qui avait effectué plusieurs fois ce voyage, écrivait:

« J’ai été sept fois au Canada et quoique je m’en sois bien tiré, j’ose assurer que le plus favorable de ces voyages m’a donné plus de cheveux blancs que tous ceux que j’ai faits ailleurs. »


Détail d'un navire apparaissant sur la page frontispice du traité d'hydrographie de G. Fournier, 1667
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Partis principalement de l’Île-de-France ou du Nord-Ouest (Normandie, Bretagne, Poitou, Aunis, Saintonge et Picardie), ce n’est pas sans une certaine angoisse face au voyage que les immigrants en partance pour le Canada montaient à bord d’un navire de moins de 200 tonneaux dont la longueur était inférieure à 25 mètres. Inutile de mentionner que dans un si petit bâtiment le confort laissait à désirer. La place réservée aux passagers y était très limitée. Tout le monde, fonctionnaire du roi, missionnaire, religieuse, officier militaire, soldat, engagé, fils de famille, braconnier, faux saunier, marchand, commis et émigrant volontaire, étaient serrés comme des sardines, en particulier ceux et celles qui couchaient dans la « sainte barbe » à l’arrière du bâtiment. Car, en plus des passagers et des membres d’équipage, le bateau contenait les marchandises et la nourriture pour la traversée, c'est-à-dire des provisions pour deux mois environ. Des animaux vivants comme porcs, moutons, poules, boeufs et chevaux étaient parqués près des cuisines sous le gaillard d'avant, une partie de ceux-ci devant servir à la consommation à bord pendant la traversée. Chaque espace était donc utilisé à son maximum.

Lorsque le bateau réussissait à quitter le port et à s’engager sur l’Atlantique, une foule d’aléas pouvaient venir entraver le voyage comme les naufrages, les avaries, les attaques des corsaires. En outre, avec son temps froid, ses brumes et ses glaces près des côtes canadiennes, le climat rude de l’Atlantique Nord rendait pénible la vie à bord. Le froid et l’humidité étaient d’autant plus mordants sur le navire que souvent, à cause du mauvais temps et des fréquentes tempêtes qui balayaient l’océan, on ne pouvait faire de feu pour se réchauffer ou pour cuire les aliments, par crainte des incendies. L’équipage et les passagers devaient alors se contenter de repas froids. Il arrivait également que les paillasses, lits et « branles » (hamacs), dans lesquels couchaient les passagers, fussent détrempés, les vivres et les marchandises gâtés par l’eau qui s’infiltrait partout dans le bâtiment.

Pendant la traversée pour les passagers, le quotidien est assez monotone. Lorsque le temps le permet, la vie à bord se résume à de longues promenades sur le pont, entrecoupées de jeux de société ou de hasard (cartes, échecs ou dés), ainsi que de musique et de chant. Certains passagers s'adonnaient à la lecture et à l'écriture. Autrement, on passait le temps à converser et à observer les autres navires au hasard des rencontres sur l’océan. On avait donc très peu d'activités et on devenait vite déseuvrés. Heureusement qu’il y avait les repas pour briser la monotonie de la traversée. Habituellement trois repas par jour étaient servis. Au petit déjeuner, on ne se nourrissait que de biscuits,


La boussole ou boëte de l'aiguille aimentée nommée compas tirée de G. Fournier, Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, Paris, Chez Jean Dupuis, 2e édition, 1667, p. 403) 
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excellents sauf qu’après quelques semaines de navigation, il arrivait souvent qu’ils soient remplis de petits vers. Quant au déjeuner et au dîner, ils se composaient d'un potage fait de semoule de seigle ou d'avoine, parfois de maïs, de fèves ou de pois, auquel on ajoutait de la graisse ou de l'huile d'olive de façon à ce que le tout soit nourrissant. Heureusement que trois ou quatre fois par semaine, au déjeuner et au dîner, selon le Père Georges Fournier dans son traité d'hydrographie, « on donnait du lard et les autres jours deux morues pour huit hommes ou deux harengs ». Aussi toutes les fois que cela était possible, les hommes essayaient d'améliorer le menu quotidien par les produits de leur pêche: thon, marsouin, requin, etc. Comme boisson, on a du cidre et de l'eau douce en autant que celle-ci ne fût pas trop corrompue. Or, il arrivait fréquemment que, conservée dans des tonneaux de bois, l'eau potable, au bout de 15 à 30 jours de navigation, prît un goût amer, une couleur brunâtre et s'emplît par la suite d'asticots, c'est-à-dire de petites larves, en plus de dégager une odeur nauséabonde; tant et si bien que, quelque fois, il faut se boucher le nez pour avoir le courage d'en boire. Ainsi, pendant la traversée de Marguerite Bourgeoys à l'été 1653, « on ne lui servit qu'une eau croupie et corrompue dont, au reste, elle se montra toujours très contente, à cause de son grand esprit de pénitence et de mortification ». Le dimanche, jour exceptionnel, on mettait du vin sur les tables. 

L'hygiène personnelle des matelots et des passagers laissait beaucoup à désirer. L'eau douce était trop précieuse pour qu’on la « gaspille » à laver le linge ou sa personne. On peut alors s’imaginer la puanteur qui régnait dans l'entrepont où les sabords sont presque continuellement fermés. Les parasites y pullulaient. Le jésuite Nau écrit dans le récit de sa traversée en 1734: « toutes les fois que nous sortions de l'entrepont, nous nous trouvions couverts de poux. J'en ai trouvé jusques dans mes chaussons… »

Dans ces conditions, les maladies se développaient aisément. Bien que n’étant pas mortelle, une des premières à se déclarer à bord était le mal de mer. Dès que le bâtiment prenait la mer, des passagers étaient atteints d’un « douloureux soulèvement ou bondissement d'estomac qui fait rendre gorge et vider entièrement tant par haut que par bas: ceux qui sont accoutumés à la marine se moquent des malades, et n'en font que rire », écrivit Estienne Cleirac, en 1661, dans son ouvrage Les Us et Coutumes de la mer. À ce propos, le sulpicien Joseph Dargent qui vint en Nouvelle-France en 1737, raconta dans sa relation de voyage que dès que le navire prit le large, il « commença à apercevoir les effets de la mer sur les hommes. De tous côtés on ne voyait que gens abattus et qui faisaient des restitutions. C'était quelque chose de risible que de les voir courir de côté et d'autre sur les bords du vaisseau. Craignant au commencement que mon tour ne vînt, je n'osais en rire. Enfin je m'enhardis et ne donnai point la consolation à plusieurs qu’ils auraient souhaité, qui était de rire à leur tour à mes dépens, car je ne fus aucunement incommodé ». 

La maladie la plus fréquente en mer et souvent mortelle était le scorbut. Celui-ci fit autant de ravages au XVIIIe siècle qu'il en avait causé au siècle précédent. Les autres maux qui occasionnaient aussi beaucoup de morts étaient ceux que l'on désignait sous le terme générique de « fièvre » commune», « chaude », « maligne » ou « pourprée », parce que l'on ne pouvait préciser davantage la maladie. Ce mot englobait des maux comme le typhus, la rougeole, la dysenterie, la petite vérole, etc. La promiscuité dans laquelle on se retrouvait, jointe à l’absence d’hygiène, au froid et à l’humidité, faisait en sorte que ces maladies se propageaient rapidement sur les navires et que 7 à 10 % des passagers décédaient avant d’arriver en Nouvelle-France.

Finalement, après une soixantaine de jours en mer et avoir surmonté maladies, tempêtes, pirates et corsaires, remonté le fleuve Saint-Laurent, où les occasions de faire naufrage étaient nombreuses, on atteignait le port de Québec. Le voyageur pouvait enfin mettre le pied en terre canadienne.


André Lachance



BIBLIOGRAPHIE 
Sources

Bougainville. « Journal de navigation… », dans RAPQ, 1923-1924, p. 378-387.

Cleirac, Estienne. « Explication des termes de marine employez par les édits, ordonnances et règlements de l’admirauté », dans Les Us et Coutumes de la mer... Rouen, Jean Lucas, 1671.

Dargent, Joseph. « Relation d’un voyage de Paris à Montréal en Canada en 1737 », dans RAPQ, 1947-1948, p. 10-17.

Fournier, Georges. Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, 2e édition, Paris, Jean Dupuis, 1667.

Nau, Père. « Lettre du Père Nau, missionnaire au Canada au R. Père Richard, provincial de la province de Guyenne, à Bordeaux », dans RAPQ, 1926-1927, p. 267-269.



Note : Ce texte est un résumé du chapitre 2 «Survivre à l’Atlantique» publié en 1992 dans un ouvrage collectif dirigé par Yves Landry,Pour le Christ et le Roi. La vie au temps des premiers Montréalais, Montréal, Libre Expression et Art Global.
Crédit : collection privée de l'auteur




Nous remercions chaleureusement Monsieur André Lachance de nous avoir autorisés à reproduire son article du site Mémoires Vives ainsi que Monsieur Gilles Durand, rédacteur en chef du Bulletin. 



Atlantic crossing of the 17th and 18th century.


Today, when we go across the North Atlantic Ocean in a confortable Boeing or Airbus, it is difficult to imagine the troublesome conditions of those who dared the adventure during the 17th and 18th century.

Even though less dangerous than in the 16th century, the crossing was still a hard ordeal, that sailors and passengers did not take without some fear. Essentially earthly bound over millionaries, europeen civilisation had always associated the seas to stressing and scary images. At the time, several proverbs and sayings circulated in Europe about not risking to go seabound. “Bless the sea, but stay on the shore.” said the Latin. “Better on land in an old wagon than on the sea with a brand new ship.” claimed the Dutch. “If you want to learn how to pray, go out to sea.” declared the character of Cervantès Sancho Pança. Furthurmore, the North Atlantic crossing towards Canada was reputated to be extremely difficult. In 1716, the commandant of the ship “Francois”, the Capitain Voutron, who had made the trip several times, wrote : “I have been to Canada seven times, and even though I’ve made it quite well, I can tell you that the best of these crossings has given me more white hair than any other trip anywhere else.” Leaving essentially from the center or north west of France, (Normandie, Ile de France, etc....) it is not without a certain anxiety that futur Canadian immigrants got on ships less than 200 tuns, and 25 meters long. Needless to say that in a such small space, comfort had room for improvement. Passenger place was more than limited. Everyone; king’s administration, missionary, nun, officer, soldier, volonteer, rich man, poacher, trader, merchant, clerck or immigrant; they were all as tight as sardines in a can. Especially those who slept in the ‘saint barbe’ at the back of the boat. For, as well as passengers and crew, the ship contained merchandise and supplies for the crossing, meaning stock for about two months. Live animals, such as pork, sheep, chickens, cows and horses were parked next to the kitchens; under the front deck; as some of them were meant to be consumed during the crossing. All space was thus used to the maximum.

When the boat succeeded in leaving the harbour to the Atlantic, the unexpected; shipwrecks, sinking, pirates, ans sicknesses could shakle the crossing. Also, with the cold weather, mist, and ice near the Canadian coast, the North Atlantic climate made life aboard laborious. The cold and humidity were magnified by the fact that storms and waves made it impossible to light fires for heat and cooking, by fear that the ship might burn. Crew and passangers often had to be contented with cold meals. It was frequent that passengers bedding, hamacs, or straw matresses be soaked through ; as well as food and merchandise being moldy; as water infiltrated easily into the boats.

During crossing, the passengers lived a wearsome life. When weather permitted, life a board was resumed by walks on the deck, games (cards, dice or chess) and musique and / or singing. Certain passengers read or wrote. Otherwise time was passed conversing about or observing other ships as hasard would make meetings on the ocean. There were thus very few activities, and people became quickly bored. Chance had that meals cut the rythme of crossing. They were usually served 3 times a day. Breakfast only consisted of biscuts. Normally excellent, they often got infected by worms after several weeks of navigation. As for lunch and dinner ; they were composed of rye, oat, corn, or pea soup; which was greased up with vegetable oils or animal grease to make it more nourrishing. Luckily 3 or 4 times a week, as told by father George Fourrnier in his hydrographic treaty, “ we were given lard and other days 2 cod or herring for 8 men.” Thus, as often as possible, the crew tried to improve the menu with the fish caught; tuna, sea-hog, shark, etc... Drinks were cider and soft water, as long as it wasn’t contaminated. Back then, after 15 of 30 days of navigation, as the water was stocked in wooden casks, it was often sour tasting, brown colored, and eventually full of maggots with a nausiating odor; so much so, that one had to have considerable courage and block one’s nose to be able to drink it. Hense, during the crossing of Marguerite Bourgeois in the summer of 1653, “she was given stagnant and rotten water, which for the rest, she was thankful, because of her great mind of penance and humiliation.” Sunday, day of exception, wine was on the table.

Personnal hygene of crew and passangers was more than negligent. Soft water being too precious to squander by washing one’s self or clothing. We may imangine the hanging stench in the quarters where people were lodged, and often confined. It was swarmng with parasites. The Jesuite Nau wrote about his voyage in 1734 : “every time we went up to the deck we were covered with lice. I even found them in my slippers.”

In thes conditions, sickness was easily developped. Even though not mortal, the first to be declared was sea-sickness. As soon as the boat took to sea, passengers were taken by a “painful rising or jumping up of the stomach which burnt the throat and emptied entirely by top a,d bottom: those that are used to the sea make fun of the sick, and only laugh of it.” wrote Estienne Cleirac, in 1661, in his work “Ways and Customs of the Sea”. In the same register, the sulpicien Joseph Dargent who comes to “New France” in 1737, told of his trip as soon as leaving the coast ; he “started to see the effect of the sea on man. To all sides one can only see battered and broken men making returns. It was almost funny to see them running from one side of the ship to the other. Afraid my turn was to come, I dared not laugh. Atleast I was to make bold; and not give consolation to those who would have liked to laugh at me on their turn; as I was not to be indisposed at all.”

The most frequent, and often deadly sickness at sea was scurvy. It caused as many deaths in the 18th century as in the preceding one. Other illnesses occassioning many deaths were, “fever, the common, spite, hot, or deep red,” as one could not define more the illness. These words covered typus, measles, dysentury, pox, etc. The unpleasant proximity, doubled with bad hygene and cold and humid environnement, occaissonned the fact that sickness quickly propagated on ships, and 7 to 10 % of all passengers died befor getting to New France.

Finally, after 60 days at sea, and surviving all sickness, storms, pirates, and coming up the St. Laurent River ; where occaissons to ship-wreck were many; one could finally put foot to Canadian ground.



We warmly thank M. André Lachance for authorising us to reprint his article from “Memoires Vives” as well as M. Gilles Durand, cheif editor of the “Bulletin”

The translator presents excuses as to any mistakes in original text translations; as I am not a professional editorial or litterary translator. Just bilingual

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